l'ennuie, c'est s'ouvrir au mystère de soi

De nos jours, la montée du radicalisme est inquiétante. On ne peut pas le limiter dans un seul domaine religieux, mais aussi dans d’autres domaines, même non-croyants. Au fond, l’idéologie n’est jamais morte. Elle prend une autre forme aujourd’hui. Le radicalisme religieux n’est qu’une des ses manifestations. La religion, quant à elle, qui n’intègre pas le dialogue avec la raison, porte en elle-même le germe de l’idéologie pour la quelle tous les moyens sont justifiés. Le récent horrible assassinat à Londres, condamnés par tous, ainsi que les réactions des extrêmes droits voulant se débarrasser des immigrés, n’en donne qu’un exemple même s’il n’est pas du tout correct d’identifier le radicalisme au terrorisme, pire encore, aux certaines religions.   
Il est curieux de constater que le phénomène du radicalisme touche bien plus souvent les jeunes que les autres âges. Peut-être dans le contexte de changement rapide, d’évolution néfaste d’économie et de technologie, nos jeunes sont tiraillés dans deux côtés opposés. D’un côté, ils doivent rester dans le jardin de leur religion et de leur culture d’appartenance chacune avec ses exigences normatives, de l’autre côté, le style de vie que le progrès propose, les séduit. Il semble que deux côtés se concurrent pour vider les jeunes de leur ennuie. Ce dernier est quelque chose d’humain, dont on s’y fie souvent parce qu’il signale le vide, l’impuissance à agir, la mélancolie, la lassitude.  Pourtant, il est nécessaire, voire fondamentale dans notre vie. Il fait partie de son « être dans le monde ». Il est le lieu de rencontre véritable de l’homme avec Dieu. J’aime beaucoup la parole de Jésus s’adressant aux pharisiens à propos de l’impureté : « ce qui rend l’homme impur n’est pas quelque chose de l’extérieur mais  ce qui vient de l’intérieur ». Le bien et le mal paraissent se concurrent pour gagner ce terra incognita de l’existence humaine.
Le radicalisme tant religieux qu’idéologique s’inscrit dans la quête de l’ennuie. Imaginez combien des hommes en chômage ou dans une situation de précarité économique sont facilement séduits aux prédications justifiant tous les moyens possibles pour acquérir à un bonheur instantané. On préfère mourir martyre et acquérir la récompense céleste à rester dans la misère dont la solution sur terre est impossible. La religion est souvent instrumentalisée pour nourrir l’incapacité d’agir, pour nourrir l’ennuie. La violence au nom de la religion s’y explique. Je suis de ceux qui croient que jamais une véritable religion n’alimente l’idée et l’acte de violence. Une religion comme telle est une religion inhumaine, parce qu’elle contredit la raison humaine, celle qui devrait orienter celui-ci vers le bonheur.  
De son côté, l’idéologie du progrès veut assiéger à cet ennuie avec des divertissements  massifs souvent illusoires. Il insère aussi la mentalité instantanée qui ne laisse pas vraiment l’envie de vivre dans la durée dans l’exigence de travail et dans souffrance. Beaucoup de jeunes veulent être « stars » à l’american idol, à la The Voice, oubliant combien de travail exigé pour vraiment l’être. La culture moderne est marquée par la tendance spectaculaire : tout le monde veut être vu. Il y a par conséquent le culte d’image ; un nouvel narcissisme. L’industrie de divertissement en profite pour gagner plus de profit. Malheureusement, au lieu de faire disparaître l’ennuie, le progrès le crée et le multiplie davantage. Nos contemporains deviennent dépendants de ces divertissements qu’ils n’arrivent pas rester seul devant l’ennuie qui ne nous échappe jamais, et qui leur devient plus en plus un malaise.
Aujourd’hui nous fêtons la solennité de la Sainte Trinité.  La foi chrétienne prend sa source à la rencontre avec Dieu que nous a révélé Jésus Christ dans son Esprit Saint. Le mot « Trinité » ne se trouve aucunement dans la Bible, mais Jésus a laissé des traces dans toute son existence terrestre, de par sa vie, sa mort et sa résurrection. Sur la croix, Jésus nous révèle le Dieu d’amour, une opposition à toutes les religions qui tentent d’enfermer Dieu dans son « tout puissance ». En Jésus nous contemplons Dieu fait homme, Dieu qui nous aime tellement qu’il donne son fils mort sur la croix pour notre salut. Notre Dieu est un Dieu qui n’est jamais solitaire. Le terme trinité découle de la réalité de Dieu comme communion d’amour. Dieu est la source de l’amour parce qu’Il est amour qui crée et qui nous donne l’existence. Cet amour n’est pas seulement un acte de se donner mais une personne qui s’est donnée. Parce qu’il est un don, cet amour engendre le Fils, la pleine manifestation de l’amour de Dieu pour nous. L’amour de Dieu et le Fils c’est l’Esprit Saint qui à son tour nous amène dans la même mouvance de l’amour.
La réalité trinitaire est inhérente dans notre existence humaine. Nous sommes  un être tendu et orienté vers la rencontre. L’homme, par sa définition, est un être de rencontre, c'est-à-dire un être qui se fait face à face, se met à une situation cum, avec l’autre. L’ennuie en est la manifestation. L’ennuie n’est pas du tout  l’oisiveté. Il est une réalité dans la quelle chacun de nous est dans un face à face avec lui-même. Il appelle à creuseur la profondeur de soi-même. Il manifeste notre « être réfléchi ». L’ennuie nous offre l’occasion unique de se ressourcer. L’ennuie nous invite à un retour sur soi, pour écouter  ce que notre « soi » dit de nous. L’ennuie ne nous promet pas la rêverie, ni d’illusion virtuelle ou imagination hollywodienne. Il marque toujours un point d’arrêt pour revisiter notre vie, et ainsi pour préparer la rencontre avec l’autre. L’ennuie nous ouvre le chemin de communion avec soi-même et sans doute avec notre Dieu de communion.
Au lendemain de la tuerie de Londres, beaucoup de gens ont visité le lieu du drame en posant plusieurs de fleurs rouges, signes d’amour, d’affection et de sympathie. Ces gens-là sont des témoins de ceux qui sont capables d’accueillir ce que l’ennuie leur offre, ce que la tristesse, la colère d’un tel drame, l’angoisse suscitent en eux. L’ennuie né d’un tel drame les pousse à une rencontre avec l’amour, la fraternité universelle qui ne donne aucune place à la violence, ni à la peur.     

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