retire tes sandales

La souffrance est un vieux problème de l’humanité dont chaque homme à travers l’histoire porte le différent regard et cherche la solution, ou bien encore donne le sens. Elle est une réalité qui affecte notre existence. Crées que nous sommes, nous sommes déterminés par nos limites (physiques, intellectuelles, psychiques). Notre existence est enveloppée par le temps et l’espace, elle est condamnée à une facticité.
La première lecture du livre d’Exode nous rapporte la réalité de la souffrance que connut le peuple Israël. Moise, un israélite, immigré à Madian à la suite du meurtre du soldat égyptien dont il était l’auteur, connaissait très bien ce que vécut Israël, son peuple en Egypte. Et il en avait son propre regard. La souffrance lui paraît inexplicable.  Elle n’est qu’à fuir. La scène du buisson ardent nous en témoigne (Ex.3,1-15). Moise rencontre l’Ange qui apparaît au milieu d’un feu qui sorte d’un buisson et ce buisson brûle sans se consommer. C’est une chose étonnante. Normalement, un buisson qui brûle devrait se consommer. Mais, ce n’est pas le cas de ce qu’il a vu. Cela serait équivalent de ce que Moise pense de la souffrance. De même le buisson qui brûle doit se consommer, de même la souffrance devrait consommer l’homme ou le mettre en péril. Il n’en y a plus d’espoir. Le geste de Moise, de s’approcher curieusement pour examiner le fait du buisson mystérieux, révèle d’autre part sa quête du sens. Le sens de la souffrance, existe-il ?
La réponse de Dieu est surprenante. « Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte». Elle est tout d’abord de l’ordre d’interdiction. L’homme, comme Moise, n’est pas vraiment à la mesure de maîtriser la réalité de la souffrance. L’homme n’est pas Dieu, et il ne peut pas prendre la place de Dieu pour donner le sens et la solution à la souffrance. L’homme, tel que nous montre la suite du geste de Moise, ne peut qu’en fuir. Moise se voile le visage. Nous tous, nous n’aimons pas souffrir, ni souffrir avec les autres. La souffrance de son peuple, pour Moise est quelque chose à oublier, à ne plus regarder.
La suite de cette réponse montre l’attitude contraire. « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descende pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre spacieuse et fertile ». Face à la souffrance de son peuple, Dieu décide d’intervenir. Dieu n’est pas un Dieu spectateur devant la souffrance de l’homme.  La demande de retirer les sandales est finalement une invitation à abandonner notre faux regard de la souffrance, même tous nos faux regards du monde. Chacun de nous est invité à enlever nos sandales pour pouvoir découvrir l’univers de Dieu, pour pouvoir sentir sa présence. Là où nous sommes, tant que nos pieds foulent encore la terre, Dieu est avec nous, malgré nos souffrances.
                La première lecture nous fait entrer donc dans la pleine identité de Dieu. Dieu se présente à Moise comme « Je suis ». Le « je suis » de Dieu n’est pas une simple existence. La manière de Dieu d’exister ou d’être n’est d’autre que de voir, entendre, descendre et libérer. Cela interroge, à mon humble avis, toute la philosophie du sujet qui magnifie la primauté du sujet et qui relative l’autrui. Quand Dieu se présente comme « Je suis », il nous implique, il nous fait participer dans son être pour nous porter le salut.
Saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens nous fait comprendre que dans  cet acte de révélation de Dieu, s’est fait connaître déjà le Christ (1Co 10,1-12). Cette lecture est possible du fait que l’acte de descendre pour libérer est propre au Messie. Jésus Christ s’est présenté déjà de manière implicite dans l’histoire d’Israël. Cette histoire est marquée par le péché et l’infidélité d’Israël. Cette histoire d’infidélité devrait nous servir d’exemple pour notre conversion.
« Retire les sandales » est un appel à conversion. Dans l’évangile, Jésus nous explique que la conversion est une nécessité qui concerne tout le monde sans exception. Dans l’évangile, il nous est raconté le sort des Galiléens assassinés par Pilate lorsqu’ils étaient en train de faire leur culte. Les gens lui racontent cette tragédie juste pour lui expliquer qu’il a fallu à ces Galiléens là de subir un tel événement parce qu’ils ont plus péché qu’eux. La nécessité de conversion ne relève pas seulement de sa dimension négative, s’agissant d’une réalité pécheresse de l’homme ou de la réalité de la souffrance – il n’est pas même question de l’état de péché ou de pureté- mais aussi de sa dimension positive, celle de s’identifier à Dieu. La conversion n’est pas seulement un mouvement négatif (du péché), mais un mouvement positif et progressif vers une véritable relation avec Dieu. Se retirer les sandales est un mouvement de s’identifier à Dieu dans sa façon de vivre.
Ce mouvement positif de la conversion est expliqué davantage dans la parabole du figuier et du vigneron (Luc 13,1-9). Le propriétaire de la vigne veut couper le figuier tout simplement parce qu’il n’y trouve pas les fruits : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. A qui bon le laisser épuiser le sol ? ». La conversion vise le fruit qui n’est d’autre que la pleine croissance et le total développement de l’homme. D’ailleurs, Dieu est toujours patient pour nous attendre de nous convertir vers lui.
Vivre la conversion dans toutes ses dimensions nous permet de faire face à notre souffrance et celle d’autrui. Elle nous appelle à la responsabilité devant Dieu et devant l’homme, par chacun de nous participe de manière consciente ou inconsciente à sa propre souffrance et celle d’autrui. Elle nous pousse enfin à être libérateurs comme Dieu. Le jeûne, la prière et l’aumône doivent se vivre dans cette perspective de conversion, comme un acte de responsabilité et de la libération. Tardelly,s.x.

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